12. Tabac et liberté

  • Encore un article sur le tabac ? Tu radotes, Sarah…
  • C’est à cause de l’autre, là, qui m’a chauffée !
  • Tu parles de ta sortie course à pied avec Marc ?
  • Mais non, voyons ! De Mireille !
  • Ah… la conversation de midi. C’est chiant. On préfèrerait parler de Marc !
  • Y’a rien à dire. On a couru, voilà. Point.
  • Menteuse ! Tu te souviens qu’on est toutes dans la tête, n’est-ce pas ? On veut des détails sur ce que tu as ressenti !
  • Il n’en est pas question ! C’est privé ! On va parler du tabac et pi c’est tout !
  • Nous serons intransigeantes ! Ce blog est devenu beaucoup trop sérieux ! Fais un effort, ou Sarah-Louette chante “Plus que tout” de Christophe Willem.
  • Hein ?! Du chantage ? Ça ne marchera pas ! Je suis tel le roseau, qui plie mais ne casse ja…
  • Le mot doux le vrai, j’le vois défiler, mon coeur bat sous le… ♫
  • D’accord, d’accord ! Vous voulez savoir ce que j’ai ressenti quand un homme qui me plaît mais qui n’est pas mon mari m’a proposé d’aller courir un midi ? Mon coeur s’est accéléré et je me suis sentie à la fois coupable et excitée ! Contentes ? Je peux commencer l’article maintenant ?
  • Mouais ! T’as gagné un petit sursis.

Purée, tu parles d’une démocratie ! Les Sarah deviennent de plus en plus difficiles à contrôler, il va falloir que je fasse quelque chose à ce sujet. Pourquoi suis-je là déjà ? Ah oui !

Le tabac, c’est (toujours et encore) tabou

Cette semaine, nous avons eu la journée mondiale sans tabac. La presse a parlé en long, en large et en travers des méfaits de cette plante sur la santé, sur le climat, sur le prix des assurances sociales et sur l’odeur de votre bouche. Rien de nouveau pour l’immense majorité des êtres humains.

Certains se sont offusqués de la lenteur et de la timidité de cette lutte, d’autres se sont offusqués de cette offuscation (oui Sarah-Dictionnaire, ce n’est pas un vrai mot, mais tout le monde comprend !), et les sections commentaire des articles sont vite devenues aussi appétissantes qu’un clafoutis à la bouse de vache. La routine, quoi.

Vous connaissez mon aversion pour cette substance et tout ce qui tourne autour, j’en ai déjà parlé dans un précédent article. Cependant, et contrairement à Sarah-Militante, je suis de celles qui pensent que les combats se gagnent par l’éducation et les lois, et non en cassant les pieds à son entourage. Je n’avais donc aucune raison valable d’écrire un nouvel article sur ce sujet.

Une liberté de se retrouver à jamais piégé

Ça, c’était jusqu’à hier midi et ma discussion avec Mireille. Mais oui, vous connaissez déjà Mireille ! J’en parle dans un article sur l’homéopathie. Mireille, fumeuse à ses heures perdues (et elle en a beaucoup…), qui lors d’une discussion sur l’interdiction du tabac assène, avec aplomb et fierté, que chacun est responsable de sa consommation et libre de faire ses propres choix.

Sur le moment, j’ai vacillé, emportée par un mélange de colère et de…

  • Minute, papillon ! Sarah-Rebelle commence à s’ennuyer. Comment Marc était-il habillé pour courir et qu’est-ce que tu as regardé chez lui ?
  • Mais c’est pas vrai ! Vous allez me ficher la paix, oui ? On arrive à la meilleure partie !
  • Souffle coupé, j’ai tout donné, tu changes d’air pour oublier…
  • Grrr ! Il avait un short de course laissant apparaître ses quadriceps musclés, et un t-shirt près du corps qui moulait ses biceps. Et j’ai regardé son ventre en essayant d’imaginer à quel point il était plat sous ses habits. Je peux reprendre ?
  • Attends ! Parle-nous de ce que toi tu portais pour lui !
  • Trop tard, une seule question à la fois.

Où en étais-je ? Ah oui ! L’affirmation de Mireille m’a laissée pantoise de colère et d’indignation. Non, non et non ! Pas cette vieille rengaine toxique et mainte fois désavouée ! Parce qu’un tel raisonnement est sans doute l’un des plus beaux cadeaux que vous puissiez faire à l’industrie du tabac, et Mireille, consciemment ou pas, s’est transformée en lobbyiste enjouée de la cigarette.

Fumer n’est pas un choix. Commencer à fumer ? Peut-être, oui, mais une fois la dépendance installée, la situation n’est plus réversible. Les modifications de la chimie de votre cerveau rendent l’arrêt extrêmement difficile et, soyons honnêtes, hors de portée d’une majorité des victimes. Car oui, les consommateurs de tabac sont des victimes au même titre que ceux consommant d’autres drogues, et nier cette réalité continue de faire le beurre et l’indécente fortune des cigarettiers.

Si vous souhaitez en savoir davantage sur les mécanismes en jeu et sur l’état actuel de la recherche médicale, je vous invite à écouter l’excellent podcast de France Culture “Tabac : l’écran de fumée”.

Ce soi-disant “choix”, cette liberté offerte à toutes et à tous est en vérité un piège particulièrement pervers se refermant lentement sur les personnes glissant dedans. Une courte période de folie, un semestre socialement difficile à l’école, un moment de faiblesse vous rendant temporairement influençable, et vous voilà éternellement prisonniers sans retour en arrière possible. Petite erreur = gigantesque conséquence sur le reste de votre vie. En quoi est-ce là un choix libre et éclairé ?

  • C’est super, qu’est-ce qu’on s’amuse ! Dis, tu ne voudrais pas nous détailler ce que tu portais pour aller courir ?
  • Une brassière, un débardeur et un leggins court. Pourquoi ?
  • C’est ta tenue de course habituelle ? Il faisait particulièrement chaud, ce jour-là ?
  • Je n’aime pas vos insinuations !
  • Sarah, ce blog existe afin qu’on puisse s’exprimer librement, sans tabou ni censure. Alors dis la vérité, ou Sarah-Louette enchaîne sur du Claude François !
  • Arg ! Tout mais pas ça ! J’ai choisi ma tenue le matin, avant de partir travailler, dans le but de lui plaire. Pour qu’il me regarde lui aussi, pour lui donner envie. Satisfaites, bande de harpies ? Vous avez la moindre idée des conséquences de ces propos sur mon couple si l’on venait à me reconnaître ?
  • Sarah-Prudente rétorque que c’est bien fait pour toi, Sarah-Honnête trouve cette démarche plutôt cathartique, Sarah-Curieuse voudrait savoir ce que tu portais sous ton leggins et Sarah-Rebelle regrette que tu n’aies pas demandé à Marc un massage après l’effort. D’autres questions ?

Bon sang, je vais exploser. Respire, ma petite Sarah, et reprenons. Mireille n’est pas un cas isolé, car curieusement, le mythe de la responsabilité individuelle n’est presque jamais abordé dans les articles et podcasts que j’ai pu écouter sur le sujet, quand bien même ceux-ci dénonçaient ouvertement la faiblesse des politiques publiques.

Pas de taille à lutter

Car, ne nous voilons pas la face, responsabiliser les gens quand on parle de drogue ne fonctionne pas. L’humain n’est pas conçu pour apprécier pleinement des conséquences qui se mesurent en années. Et ne pensez pas que je sois épargnée, mes propres cachotteries avec Marc et la dangereuse influence Sarah-Rebelle au Conseil des Sarah pourraient finir par me coûter très cher.

Écologie, nutrition, santé, nous pensons bien souvent à court terme. Combien d’entre vous gèrent aujourd’hui leur vie avec comme principal objectif de devenir centenaire ? Pourquoi, alors que tout le monde sait parfaitement que le tabac tue la moitié de ses usagers et vide tant les portefeuilles publics que privés, 22% de la population fume encore ? Nous ne sommes pas de taille à lutter.

Il faut interdire la vente des produits du tabac. Il faut éduquer les élèves sur l’implacable mécanisme de l’addiction et sur les biais naturels de notre cerveau qui empêchent notre évaluation fiable des conséquences à long terme de certains de nos choix.

Vous n’avez jamais été et ne serez jamais libre face au tabac, c’est donc à la société de vous en protéger.

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