9. Rêverie : Au restaurant

Avertissement : Le présent article est un produit de pure fiction. Toute ressemblance avec la réalité n’est que le fruit du hasard. Qu’il soit connu qu’une minorité de Sarah, que je représente aujourd’hui, s’est farouchement opposée à la rédaction ainsi qu’à la publication de ce qui va suivre. Votre infatigable dévouée, Sarah-Prudente.

* * * * * * * * *

Je suis en retard ! Je cours sous une pluie battante en direction de la porte du restaurant, le bruit de mes talons frappant le bitume à peine audible à travers l’averse. Absorbée dans mes mails, je n’ai pas vu le temps passé. Quelle nouille.

Un serveur m’ouvre et me débarrasse de mon parapluie dégoulinant, m’invitant dans l’atmosphère chaude et tamisée de l’établissement. Que c’est classe, ici. Épaisse moquette, emplacements pour deux ou pour quatre convives séparées par des cloisons matelassées, éclairage indirect mélangeant avec goût l’ombre et la lumière. J’adore. Lui est déjà là, bien entendu, m’attendant sagement tout au fond de la salle, coincé au bord d’une minuscule fenêtre. Un petit coin rien que pour nous. Je me glisse entre les clients et le rejoins, sourire aux lèvres.

– Salut Marc, désolée pour le retard ! J’ai pas vu l’heure…
– T’inquiète, Sarah, je viens d’arriver. Tu es ravissante, comme toujours !
– Flatteur, va. C’était quand, la dernière fois qu’on a mangé ensemble, à midi ?
– Franchement ? Au moins trois mois. Trop longtemps.
– Je suis tout à fait d’accord. Dis donc, c’est pas grand, par ici.

Je prends place à sa gauche, dos au mur, ce qui nous sert de table n’étant qu’un minuscule carré de soixante centimètres de côté. Mes genoux touchent les siens et je m’en excuse, les joues rouges. Mais je suis bien, là, avec lui, au milieu d’une foule anonyme qui mange calmement.

Je jette un coup d’œil au menu, commande le plat du jour avec une eau gazeuse, puis reporte mon attention sur mon charmant collègue. On papote d’abord travail, bureau, rumeurs et ragots, avant qu’il ne baisse un peu la voix pour me parler.

– Tu te souviens de notre discussion de la semaine dernière, sur la messagerie interne ?
– Tu veux dire… notre discussion sur mon collant transparent à pois ?
– Celle-là même.
– Et tu m’en parles maintenant parce que je porte le même ?
– Je n’ai pas pu m’empêcher de regarder. Ça te fait des jambes délicieuses. Il a l’air si fin…
– Oh oui, fin et fragile. Il faut faire très attention en le manipulant…
– À quel point attention ?
– Eh bien, je ne sais pas si je peux le dire ici…

Je commence à avoir drôlement chaud, assise à notre petite table. Je suis aussi nerveuse, de parler comme ça à voix haute dans un lieu public. Je m’apprête à répondre quand le serveur revient avec nos boissons. Profitant de l’interlude, Marc saisit son téléphone et se met à rédiger un message. Quelques secondes plus tard, mon sac se met à vibrer et je m’empare aussi tôt du mien, d’appareil, pour découvrir que c’est à moi qu’il a écrit.

  • Ça te dit, un petit jeu ?
  • À savoir ?
  • On continue notre discussion par écrit, ici, pendant qu’on parle à voix haute de la pluie et du beau temps.
  • Vil coquin ! Mais l’idée me plaît.
  • Parfait. Alors, à quel point est-il fragile, ce collant ?
  • Eh bien, par exemple, il ne faut le toucher qu’avec la pulpe des doigts, jamais l’ongle.
  • Et c’est agréable, de le toucher ?
  • Très. Pourquoi ? Tu as envie d’essayer ?
  • Seulement si tu le demandes poliment.
  • Quoi ?! Parce que c’est à moi de demander ?! C’est le monde à l’envers !!
  • C’est toi qui vois, ma chère Sarah.

Je pousse un grondement sourd et le fustige du regard, mais ce petit malin se contente de m’adresser un joyeux sourire. Impossible de l’engueuler à voix haute. Je pourrais protester, essayer de le faire craquer, mais… je dois avouer que cela me fait un certain effet d’être ainsi contrôlée.

  • Très bien. Touche mon collant.
  • Mieux que ça.
  • Grrr ! Marc, s’il te plaît, touche délicatement mon collant.

Je sens cinq doigts effleurer avec précaution mon genou, au nez et à la barbe du monde, tandis que des papillons s’agitent dans mon ventre. Je ne sais pas combien de minutes s’écoulent avant que ce maudit serveur brise à nouveau l’instant en surgissant devant nous.

– Vos plats, Madame Monsieur. Bonne dégustation !
– Merci, nous bredouillons à l’unisson.

La main de Marc remonte discrètement sur la table, et nous attaquons sans tarder notre nourriture.

– C’est bon, hein ? je demande pour remplir le silence
– Oui, très. C’est Jean-François qui m’a recommandé l’endroit.
– Qu’est-ce qu’il devient d’ailleurs, depuis sa mutation ?

Nous reprenons notre bavardage innocent, les yeux rivés sur nos téléphones en veille. Je suis déchirée entre mon désir de continuer et ma douloureuse culpabilité. Je n’ai aucun doute que Marc subit des attaques similaires de la part de sa propre conscience. Après tout, nous sommes chacun respectivement mariés. C’est presque par défi contre moi-même que je me décide à rallumer le petit rectangle noir par lequel passent nos bêtises.

  • Tu veux arrêter ?
  • Au contraire. Et toi ?
  • Je suis en discussion avec ma conscience. Mais j’ai envie de continuer.
  • Il ne faut pas que tu te sentes obligée, d’accord ? C’était déjà incroyable que te toucher comme ça sous la table !
  • On ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Recommence.
  • À vos ordres, Madame.

Je ne suis même pas à la moitié de mon plat quand sa main replonge se poser sur moi. Je glisse la mienne à la suite pour venir le rejoindre, et nos doigts s’enlacent nerveusement, électrisés par ce contact intime et interdit.

  • Continue de manger, laisse-moi faire et garde ton écran allumé.
  • Tu n’imagines pas dans quel état tu me mets, Sarah…
  • Oh si, j’imagine très bien.

Je dirige sa main le long de ma cuisse, centimètre par centimètre, les battements de mon cœur résonnant si fort dans ma poitrine que je ne crains un instant que les autres clients du restaurant ne les entendent aussi.

  • Tu aimes jouer, Marc ? Ce soir, en prenant ta douche, sans que ta femme le sache…

Nos mains entremêlées franchissent lentement la limite de ma jupe. Nous ne mangeons plus vraiment depuis un moment.

  • J’aimerais que tu te fasses du bien…

Le bout de ses doigts effleure timidement le tissu de ma culotte, à travers mon fin collant. Une goutte de sueur ruisselle le long de ma colonne vertébrale. S’il savait comme je suis trempe, à quelques centimètres de son index.

  • En pensant fort à ce que tu touches, et à ce qui se trouve dessous…

* * * * * * * * *

Tu rêves, fabules et déconnes à plein tube, ma petite Sarah

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