5. Mireille (et sa vision de la santé)

Aujourd’hui, les cocos, rien ne va.

Pour commencer, j’ai eu un mal fou à me réveiller, je suis partie de chez moi complètement à la bourre pour finalement arriver de mauvais poil à la première réunion de la matinée, qu’un crétin de manager a cru bon de placer dès huit heures tapp… Quoi, encore, Sarah-Honnête ? Je suis pas d’humeur, alors dépêche ! Comment ça j’avais qu’à pas finir mon épisode d’Ozark hier soir ? J’y peux rien si elle déchire, cette série ! Et pi Jason Bateman a un côté vraiment sexy, on dirait parfois M… Ahem, focus, ma petite Sarah, ce n’est pas le sujet !

Matinée pourrie, donc. Et c’est comme ça tous les lundis, les gens ressentent le besoin de s’entasser dans d’innombrables séances à rallonge, gâchant de l’oxygène à raconter leur vie pour se sentir intéressants et justifier leur existence, prenant en otage le temps et l’attention des autres sans aucune forme de scrupule. Résultats des courses ? Il est bientôt onze heures et je n’ai pas encore pu commencer mon arti… je veux dire mon travail, pour lequel je suis très justement payée.

Mais l’univers n’en avait pas encore terminé avec mon cas. Que m’est-il ensuite arrivé, à la faveur d’un rapide détour aux petits coins sur le chemin de retour à mon bureau ? Un accroc à mon collant ! Oui Madame, une maille s’est accrochée au siège des toilettes légèrement ébréché ! Une catastrophe, je vous dis. En plus, c’était l’un de mes collants préférés, celui avec des petits points noirs tout le long de… Qu’est-ce que tu insinues, Sarah-Rebelle, en affirmant que le choix de ma tenue n’avait rien d’innocent ? Mon article précédent ? Ça n’a rien à voir, je te signale ! Et j’aimerais bien que toi, ainsi que toutes les autres, arrêtiez de m’interrompre continuellement alors que je suis en train de parler, pigées ?

Bon, respires un bon coup, Sarah, tu avais quelque chose de plus important à dire, à la base. C’était quoi, d’ailleurs ? Ah bah bravo ! Trente-cinq ans et déjà des pertes de mémoire, ça prom… Ah non ça y est, je m’en souviens ! Je suis venue ici pour vous parler de Mireille.

Qui est Mireille, me direz-vous ? Personne, en fait. Enfin personne en particulier. Mireille est un prête-nom, une identité synthétique, un assemblage des personnalités de mes collègues les plus chiantes. On a tous une ou plusieurs Mireilles dans notre entourage. Celle qui se plaint toujours de tout. Celle qui crache sur vous dès que vous quittez une pièce. Celle qui a toujours quelque chose à dire sur tous les sujets possibles, et avec l’assurance d’une experte, s’il vous plaît, bien que la liste de ses accomplissements se soit très vite arrêtée à “Je suis née”.

Et notre Mireille, aujourd’hui, m’a tenu la jambe dix minutes au coin café de l’open-space. Car figurez-vous qu’elle possède un chat, Mireille, et tandis que le pauvre animal éternue et coule des yeux depuis trois jours, Madame n’a rien trouvé de mieux à faire que de lui filer de l’homéopathie.

Qu’est-ce qui peut bien me déranger, dans le comportement de cette co… urgette, je voulais dire courgette, je m’essaie aux insultes végétales, sur les bons conseils de Sarah-Prudente, mh ? Le fait qu’elle n’en possède qu’un seul, de chat, dans son appartement, et qu’aucun animal, aussi indépendant soit-il, n’aime la solitude et l’absence de distraction durant les trois quarts de sa vie ? Le fait qu’elle ait choisi de “croire” en l’homéopathie malgré le manque criant d’une littérature scientifique attestant de son efficacité ?

Il est important de préciser que je n’ai pas embêté Mireille avec le fond de ma pensée. Je me suis contentée d’hocher la tête en souhaitant sincèrement le prompt rétablissement du félin. La guerre contre l’obscurantisme ne se gagne pas en emmerdant les gens. Cependant, ayant quand même eu par le passé l’occasion de débattre avec les défenseurs de gélules sucrées, je possède un certain recul sur le sujet. Petit florilège des réponses habituellement entendues :

  • Si ça marche, où est le problème ?
  • Je ne force personne, c’est un choix personnel.
  • La science n’explique pas tout, il existe des choses inexplicables.
  • Les médicaments c’est Big Pharma, alors que Boiron est une petite entreprise familiale cotée en… bourse… d’un… demi-milliard… de… c’est trop tard pour la retirer, cette réponse ?

Le malaise que m’inspirent ces déclarations est beaucoup plus profond qu’un simple énervement. Croire en l’homéopathie (bien que je ne comprenne toujours pas exactement en quoi consiste cette croyance, qui relève clairement d’un choix), présente pour moi les mêmes dangers que de fumer (C.F deux articles en arrière) : la corruption de notre esprit critique, de notre capacité à nous défendre intellectuellement. L’adoption de mauvaises habitudes mentales, et ce pour de mauvaises raisons.

Accepter de se soigner avec quelque chose que l’on ne comprend pas, c’est la porte ouverte à la catastrophe. C’est croire en la magie, c’est fermer les yeux devant l’incohérence pour y gagner en retour la tranquillité d’un esprit vide. Est-ce que je sais comment marche le paracétamol, quand j’en prends ? Pas nécessairement, non. Mais je sais que si je m’y intéresse, les réponses seront là. Et amènerons sûrement d’autres questions, auxquelles je trouverai d’autres réponses, et ainsi de suite, sans jamais que le résultat ressemble à une construction bancale sur le point de se péter la gueule.

C’est un chemin long, chiant et fastidieux, que de chercher à comprendre le monde dans ses moindres détails, que de partir de la raison pour laquelle le café nous “réveille” le matin pour aboutir des années plus tard aux premiers instants de l’univers. À ce stade, vous devez je pense avoir compris que je possède un cursus scientifique, d’ailleurs en lien avec mon activité professionnelle (bien que je vous rassure, je ne porte pas de blouse blanche). Donc oui, ça m’intéresse, tout ça. Mais personne n’est obligé d’emprunter le même chemin que moi. Sachez simplement qu’il existe, et qu’il est plutôt solide, logique et censé, pavé des centaines de millions de publications scientifiques faites par toutes les personnes curieuses que la Terre ait jamais porté. C’est pas une belle autoroute plate et lisse, hein, loin de là, c’est même assez le bordel à certains endroits, mais l’ensemble tient le coup depuis quelques siècles.

Et le problème, avec les pratiques dites alternatives remplies de promesses agréables, de douceurs rassurantes, de sans-danger-et-bon-pour-notre-immunité, c’est que le chemin de leurs explications débouche sur un précipice à peine la rando entamée. Les bases théoriques de ces pratiques sont vraiment précaires. Précaire ? Précair ? Préquère ? Est-ce que quelqu’un a vu Sarah-Dictionnaire ? Quoi ?! Elle est en congé pour surmenage ? Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries ? L’univers a vraiment décidé de me faire ch… ou-fleur. Voilà. Ça n’a aucun sens, mais au moins c’est poli.

Il n’y a aucune promesse sur une boîte de paracétamol, juste des précautions d’usage et une longue liste d’éventuels dangers. Et bizarrement, moi, je trouve ça rassurant.

N’ayez jamais honte de demander pourquoi ou comment. Dans l’intervalle, je vais aller dire à Sarah-Prudente ce que j’en pense, moi, de sa nouvelle politique de m… anioc. Je voulais dire manioc.

Un avis sur « 5. Mireille (et sa vision de la santé) »

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :